Entretien avec le chanteur Jann Halexander : se retirer des scènes pour mieux revenir
(c) Pierre Orcel
La carrière de Jann Halexander est atypique par sa diversité artistique, son refus des sentiers battus, son indépendance, ses thématiques audacieuses et son engagement dans des domaines aussi variés que la musique, le cinéma, la littérature et l'ufologie. Son parcours en fait une figure singulière dans le paysage culturel francophone. L'artiste a annoncé son retrait des scènes le 4 juin dernier à la fin d'un concert parisien. Il a accepté de se confier sur sa décision par téléphone.
(c) Pierre OrcelVous avez annoncé le 4 juin dernier à la Galerie Grand Merci Paris votre retrait de la scène au moins jusqu'à début 2026, ce qui a beaucoup surpris. Pourquoi ?
J'aime profondément la scène, je n'existerai pas sans cela et je sais ce que je dois aux gens. Le public qui vient, je lui donne tout. Les gens ne sont absolument pas obligés de venir vous écouter. Et je ne fais pas de musique de fond, ce que je chante nécessite une vraie écoute. Il n'y a donc pas un sentiment de lassitude de mon côté (on m'a posé cette question). Il y a plusieurs facteurs : des soucis de santé avec deux malaises fin avril, un rythme intensif depuis juin 2020, finalement. Là où le covid a signé l'arrêt de mort de nombreux artistes, j'ai continué, voire chanté comme jamais je n'avais chanté jusque là, en France, en Belgique, en Suisse, dans toutes les conditions possibles, j'ai vraiment fait mon métier. Mais il fallait gérer tous les à-côtés également, l'aspect administratif, financier, l'aspect promotion, c'est très lourd. Certes il y a Jeff, Monique, Jérôme dans l'entourage immédiat, Elisabetta aussi, mais une tournée, j'en porte l'essentiel sur mes épaules. Et la fatigue physique s'ajoute à la fatigue mentale. Je suis depuis le 4 juin incapable de chanter. Incapable. Et puis depuis 2020, j'ai eu aussi pas mal de décès autour de moi...je pense entre autres au photographe Jean-Philippe David...
Musée des Vampires, janvier 2008, Jann Halexander et feu le photographe Jean-Philippe David
Jann Halexander et Charlotte Grenat, Galerie First Floor, 8 mars 2025, Paris, spectacle 'Les gens qu'on aime'
C'est une forme de recul par rapport au métier ?
Evidemment aussi qu'il y a de cela. Evidemment. Cela n'a jamais été un métier facile mais il y a une nette dégradation de nos conditions de travail, certains vous en parleront mieux que moi. J'arrête la scène mais je continue de défendre des sorties de disques, de livres. C'est très curieux, car dans un premier temps, j'ai informé un cercle de très proches de ma décision. Je n'avais pas du tout l'intention de l'annoncer officiellement. Et dans le fond, qui peut bien se soucier que Jann Halexander se retire de la scène ? Véronique Pestel récemment a annoncé ses adieux à la scène, son public fidèle a été surpris mais la terre continue de tourner et la plupart des médias n'ont pas répercuté l'information.
Mais il nous semble qu'elle avait dit sur facebook avoir fait le tour ? Vous aussi ?
Non, non, je n'ai pas fait le tour. Pour Véronique c'est un peu différent, c'est vrai, nous avons échangé brièvement par sms là-dessus. Elle a une carrière qui force le respect. Mais je pars du principe que si tout le monde est unique, personne n'est irremplaçable. Ce sont plusieurs personnes autour de moi qui m'ont dit que j'avais tort de ne pas l'annoncer publiquement. L'artiste, il a aussi son quotidien, les choses à gérer, le matin quand je me réveille, je n'ai pas dans la tête que mes chansons accompagnent la vie de beaucoup de gens, que la moindre prise de parole sur un sujet sociétal est commenté, partagé ici et là. Je me rappelle que je suis une personne publique quand on me demande dans la rue si c'est bien moi Jann Halexander. Ce qui arrive...une fois tous les deux mois...je ne me sentais pas 'légitime' d'annoncer mon retrait de la scène car jusque là, je n'ai pas fait de Zenith, de Bercy ou d' Olympia, je ne suis pas en prime-time sur TF1 etc...mais j'ai conscience que mon raisonnement est peut-être un peu idiot...
Vous avez fait de très belles salles : Théâtre Michel, Café de la Danse, le Lincoln, sur les Champs-Elysées etc.
Oui. Oui. Je prends le large par rapport au métier, disons. Pour revenir plus fort, plus assuré, plus confiant, l'année prochaine. J'ai ce souhait. Avec aussi, comme objectif, une assise financière qui me permette de soutenir un projet comme une tournée. Je tiens à préciser que depuis 2020, j'ai été aussi littéralement porté et par le public et par Bertrand Ferrier, au piano, sa fougue, son talent, sa belle folie car il faut être fou pour faire ce qu'on fait. Je suis forcément un peu fou. Pénible et fantasque.
30 mars 2023, de gauche à droite Sébastyen Defiolle, Claudio Zaretti, Jann Halexander, Bertrand Ferrier, Elysée Lincoln, Paris
Peut-on parler de fatigue pour un artiste indépendant ?
Fatigue oui, mais je ne supporte pas le terme artiste indépendant. Je suis artiste, c'est tout. J'ai failli être produit à mes débuts par une succursale d'Universal, mais ça a été fermé, le contrat n'a pas été signé. Dire que je suis un artiste indépendant revient à légitimer les majors, mais au nom de quoi ? Après c'est tout un délire. L'artiste indé est sensé être sur fip, chroniqué sur télérama, hop une interview sur france inter, c'est très caricatural. Et ce n'est pas moi. Je fais de la variété poétique et mon positionnement est grand public. Je ne m'adresse pas aux spécialistes, aux connaisseurs, aux mélomanes, je m'adresse à tout le monde. Et je n'aime pas non plus le qualificatif 'persévérant'. Quand on me dit 'Ah vous êtes persévérant'. Non. Je ne le suis pas. Si jusque là je chante, c'est tout simplement parce qu'il y a des gens en face pour m'écouter, et ça devient une expérience partagée. Je suis très trivial là dessus.
Qu'allez-vous faire en attendant ?
Pleins
d'autres choses. J'essaye d'être présent pour mon fils, il est tout
petit. Je précise d'ailleurs que dans les moments de doutes, de
tension, de déprimes, le voir me procure une force incroyable. Avec
la mère on s'entend bien. Vraiment. En 2022, sinon j'ai fait la
super expérience d'être goûteur professionnel dans un laboratoire
à Saint-Ouen. Pour des raisons personnelles, je n'ai pas pu rester
au delà d'un an, mais j'ai vraiment aimé. C'était un temps très
partiel. C'est un univers qui me passionne, que j'ai envie de
continuer d'explorer. De même, je pose à nouveau pour des ateliers
de peintre en tant que modèle vivant, tout se passe très bien. En
fait, j'ai pleins de projets, des envies de découvrir d'autres
choses, d'autres métiers.
Et Avignon ?
Oui, j'ai maintenu le 22 juillet à Avignon, ce sont des lectures autour du récit 'Ceci n'est pas l'Afrique' de ma mère. Entrecoupés de musiques, de chansons et à mes côtés il y aura le comédien Indy N, qui est fabuleux, quand il lit, il met le ton, c'est captivant. Ce sera une expérience intéressante.
Et aussi à côté vous avez UAP Afrique. Personne ne vous a vu venir sur la question OVNI...
Je l'ai dit tellement de fois, la question OVNI, je l'aborde avec un engagement citoyen. C'est une question aussi importante que l'intelligence artificielle ou le réchauffement climatique et il n'y a pas lieu de rigoler bêtement quand on aborde ce sujet dérangeant. Notre humanité progresse quand elle ne s'enferme pas dans le déni. On a va donc continuer de réaliser des podcasts d'information. Il y a tout un nouveau public désireux de s'informer. Les temps changent. Et les gens connaissent mon point de vue : il existe des intelligences venues d'ailleurs, c'est un fait et non une croyance. Il y a trop d'éléments qui vont dans ce sens. Maintenant, si on choisit collectivement de fermer les yeux...notamment en Occident...wait and see.
La scène va vous manquer ?
En principe, je n'ai pas fait mes adieux...je prends le large pour plusieurs mois. Je prends le temps aussi de la réflexion. Mais il n'y a pas de congés sabbatiques. Je n'ai pas prévu d'aller m'enfermer dans ma maison dans la campagne, je n'en ai ni l'envie ni les moyens. Cette année, la tournée a été très difficile.J'ai fait de très belles dates. Vraiment. Mais il y a des dates où j'ai juste fait le taf comme on dit, où je n'avais aucun plaisir à chanter. Et ça, quand on fait du spectacle vivant, c'est dangereux, les gens le sentent quand on fait juste le travail. Ce n'est pas bon. Comme je disais, ils n'ont aucune obligation de venir aux spectacles. La scène à moyen terme ne va pas me manquer car je suis épuisé. Les gens vont me manquer oui, forcément. Le moment venu, je serai heureux de les retrouver. S'ils viennent...
Oui. Je réalise que malgré les difficultés du métier, j'ai vraiment mené depuis les débuts une vie d'artiste. Si je connais Limoges, Strasbourg, Aix-en-Provence, Roanne, Mouscron, bref la liste est longue, c'est grâce aux tournées. Si j'ai pu jusque là tenir ma place, c'est aussi grâce à l'entourage immédiat sur qui j'ai pu m'appuyer. On a aussi des structures en France qui permettent cela même si c'est de plus en plus compliqué. Je pense aussi aux personnes extraordinaires rencontrées ces dernières années : Veronika Bulycheva, Inma de la Campa de l'association Les Salons d'Ima Rose, Charlotte Grenat, certains médias comme Telesud, Arts-Mada, le Point Médian Media, tant de rencontres incroyables, je mesure la valeur de tout cela, vraiment. Vraiment. L'ego, on en a tous, surtout les artistes. Inutile de se voiler la face. Mais mon ego n'a de sens que si j'apporte quelque chose aux gens. C'est ce qui me donne le sentiment d'être utile, c'est ce qui me rend fier.
Merci !
Café de la Danse, 6 avril 2019, show 'From Kolkata Live' de Tita Nzebi, Paris
Prochaine date de Jann Halexander : 22 juillet, Théâtre de l'Incongru, Avignon
Album 'Ornithorynque' disponible sur Bandcamp
Article Respect Mag, 2011
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